Dix ans de procédures intentées par l’Ordre contre les centres déviants

Depuis plus de dix ans, l’Ordre national des chirurgiens-dentistes a initié plus de 80 procédures pénales et civiles à l’encontre d’une quinzaine d’associations de statut loi 1901 gérant chacune plusieurs centres dentaires en raison de la déviance de leurs agissements.

Une première date doit être retenue : le 28 octobre 2011, le Conseil national assigne l’association Addentis, gestionnaire de plusieurs centres dentaires installés en région parisienne pour publicité et concurrence déloyale. Une assignation qui a été la première d’une longue série sur cette motivation de publicité illégale et de concurrence déloyale, sur laquelle nous reviendrons.

Puis, en 2013, avec Dentexia, le Conseil national s’engage dans des procédures pénales pour des affaires de mutilations dentaires, manquements aux règles d’hygiène, systèmes organisés de fraudes et d’escroqueries avec des milliers de patients en déshérence, des soins incomplets ou inexistants malgré un paiement total anticipé de leurs plans de traitement.

Les patients ignorent le plus souvent qui les a réellement soignés, quels actes ont été effectivement réalisés, quelle marque d’implants a été utilisée. Dans cette affaire, de nombreuses expertises pénales ont été diligentées, et sont, pour certaines, toujours en cours.

Nous n’entrerons pas dans le détail des procédures, mais il peut être noté qu’elles ont été souvent très « lourdes ». Rappelons que son dirigeant, Pascal Steichen, fut placé en détention provisoire et, entre autres, condamné en 2019 pour faillite personnelle. Les centres gérés directement ou indirectement par Dentexia (Essenza, centres Saint-Lazare) ont fait l’objet de liquidations judiciaires dans le cadre desquelles le Conseil national a été désigné « contrôleur de droit » par le juge et a dû notamment gérer l’épineuse question des dossiers médicaux-dentaires (quand ils existaient) des patients des centres.

Quant aux chirurgiens-dentistes salariés de ces centres, lorsque la nature des faits et les éléments de preuve le permettaient, les juridictions disciplinaires ont été saisies par les conseils de l’Ordre. Des poursuites ont par ailleurs été engagées par les caisses d’assurance maladie. Des sanctions ont été prononcées à l’encontre de certains praticiens devant les Chambres disciplinaires et les sections des assurances sociales (les deux juridictions ordinales).

L’affaire Dentexia, très largement médiatisée, toujours en cours, a été suivie d’autres procédures à l’encontre de centres et d’associations comme le Cosem ou Dental Access, assignés pour des faits d’une extrême gravité (décès d’une patiente pour Dental Access). Des affaires, là encore, très lourdes avec de longues procédures judiciaires destinées à faire reconnaître les fautes pénales et obtenir des condamnations.

Le Conseil national et les conseils départementaux concernés se sont constitués parties civiles dans ces affaires, qui continuent à mobiliser de nombreuses personnes et demandent beaucoup d’énergie et de persévérance face à la multiplication des recours des parties adverses, souvent destinées à retarder la procédure et « le temps judiciaire », toujours très long. Très récemment, en 2021, de nouvelles affaires ont défrayé la chronique avec les centres Proxidentaire (situés à Dijon et Belfort) et Dentexelans (ceux situés à Orléans et Chartres) pour lesquels l’Ordre s’est porté partie civile au pénal, et a engagé des poursuites disciplinaires à l’encontre des praticiens salariés de ces centres.

Les centres Proxidentaire ont été fermés par l’ARS pour manquement aux règles d’hygiène et de sécurité. Une instruction judiciaire est ouverte pour, notamment, escroquerie à l’assurance maladie, mise en danger des patients, exercice illégal. Les dirigeants des centres ont été placés en garde à vue pour certains, et font l’objet de contrôles judiciaires pour d’autres. Les praticiens, quant à eux, sont poursuivis devant les juridictions disciplinaires pour méconnaissance des règles d’hygiène et mise en danger des patients. Ils ont été sanctionnés en première instance. Ces affaires sont en appel.

Dans les affaires Dentexelans, des étudiants et des praticiens diplômés UE, non-inscrits à l’Ordre, ont exercé sous le nom d’autres chirurgiens-dentistes, dupant ainsi les patients qui pensaient s’adresser à des professionnels expérimentés ayant le droit d’exercer en France. Certains chirurgiens-dentistes se sont retrouvés en garde à vue, ils restent sous contrôle judiciaire, et parfois en interdiction d’exercice. Des poursuites sont engagées pour escroquerie, fraude à l’assurance maladie, exercice illégal, complicité d’exercice illégal, usurpation de titre, mise en danger de la vie d’autrui, violence volontaire.

S’agissant des affaires civiles pour publicité et concurrence déloyale, commencées en 2011, certaines ne sont pas encore closes. Ainsi, l’affaire Addentis, exemplaire à plus d’un titre, n’est toujours pas terminée. Certes, le Conseil national a obtenu une avancée décisive avec la décision du 3 juin 2022 du Conseil constitutionnel, jugeant constitutionnelles les dispositions de la loi de 2018 interdisant la publicité aux centres. Mais l’affaire suit son cours et, s’agissant du pourvoi au fond formé par l’association, elle est renvoyée devant la Cour de cassation.

Sur ce volet civil, pour des faits de publicité et concurrence déloyale, les affaires se sont multipliées sur l’ensemble du territoire à partir de 2012 : Dentifree, Pleyel, Eovi Novalia, Dental Access, etc. Beaucoup n’ont trouvé leur issue qu’après un long parcours en appel, parfois en cassation. Ce fut le cas par exemple pour l’association Dentalvie, dans les Pyrénées- Orientales, affaire commencée en 2013 et qui s’est terminée par un arrêt de la Cour de cassation en 2017.

Ces procédures pour concurrence déloyale connaîtront pendant plusieurs années des fortunes diverses. Les jugements de première instance (et certains en appel) trancheront parfois en défaveur de l’Ordre en dépit de la « jurisprudence » de la Cour de cassation qui, à partir du milieu des années 2010, commence à poser des jalons sur cette question. Certaines affaires seront purement et simplement perdues, les juges considérant que les actes de publicité n’étaient pas caractérisés. Ce sera le cas avec Dentalya devant le tribunal de grande instance de Marseille en 2014, jugement confirmé par la cour d’appel d’Aix-en-Provence en 2019.

Pour autant, après la décision du Conseil constitutionnel de 2022 évoquée ci-dessus, après les condamnations obtenues par l’Ordre (pour publicité, actes de concurrence déloyale, publicité trompeuse ou encore publicité comparative), ces dossiers se traitent désormais dans un cadre juridique bien balisé. Cela n’était pas le cas au début des années 2010, loin s’en faut. L’institution ordinale ne partait pas gagnante dans ces affaires, c’est le moins que l’on puisse dire.

Il faut ici s’arrêter sur un cas exemplaire, loin d’être anecdotique (et, bien sûr, loin d’être isolé) car il illustre la volonté de l’Ordre, devant la multiplication des centres associatifs déviants, et face à l’inertie des autorités sanitaires, de simplement revenir au droit. Dans un jugement du 12 juin 2014 faisant droit aux revendications de l’Ordre contre Dentifree, le TGI de Versailles énumère les slogans que l’association devra supprimer de son site Internet. Parmi ces slogans, cette affirmation : « Les centres de soins dentaires Dentifree sont spécialisés dans l’implantologie et le traitement de la maladie parodontale », alors que le Code de la santé publique dispose clairement que « Tout centre de santé, y compris chacune de ses antennes, réalise, à titre principal, des prestations remboursables par l’assurance maladie ».

Le Conseil national, qui n’a eu de cesse d’alerter les pouvoirs publics quant aux failles de la loi dans lesquelles s’engouffrent les centres de santé déviants, a déjà par le passé été auditionné dans le cadre de l’élaboration du rapport de l’Igas. Il continue à œuvrer pour faire changer les textes et avance des propositions afin que la création et la gestion de ces centres soient mieux encadrées et contrôlées.

À cette fin, il a régulièrement échangé avec la présidente de la commission des Affaires sociales, Fadila Khattabi, et il est en lien régulier avec le ministère de la Santé mais aussi des services de l’État comme l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et la santé publique (OCLAESP). Car dix ans de procédures contre les centres dentaires déviants ont permis à l’institution ordinale d’acquérir une solide expertise et une bonne connaissance des rouages de ces structures peu recommandables.

Aujourd’hui, au temps judiciaire, dont nous avons voulu ici brosser un tableau général, doit désormais succéder le temps législatif. Pour l’Ordre, il ne s’agit pas de s’opposer à cette forme d’exercice. Il s’agit de l’intégrer à l’offre bucco-dentaire dans un cadre régulé permettant un accès à des soins de qualité pour tous. C’est, depuis 2011, ce à quoi s’est attaché le Conseil national.